Mélanome, rayons UV et TP53

CIMG1255C’est l’été et l’occasion de bronzer un peu. On s’étale à la plage ou dans un parc, on expose le plus de peau possible au soleil – et donc aux rayons ultraviolets (UV). Au cours des dernières décennies, les campagnes de santé publique ont plutôt bien réussi à informer les gens que trop de soleil, de rayons UV et de coups de soleil était dangereux, augmentant le risque de cancer de la peau. Nous savons maintenant qu’il faut limiter l’exposition, utiliser de la crème solaire et/ou porter des vêtements couvrants.

Le mélanome est le type de cancer de la peau le plus grave. Il se développe dans les mélanocytes, ces cellules de la peau qui produisent de la mélanine et colorent la peau. Bien que des données épidémiologiques suggèrent un lien entre mélanome et rayonnement UV, les mécanismes moléculaires impliqués dans un tel lien restent inconnus. Dans une étude publiée dans Nature en juillet, des chercheurs se sont penchés sur les effets du rayonnement UV sur le développement du mélanome dans un modèle chez la souris et ont identifié le gène suppresseur de tumeur TP53 comme une cible de mutations induites par les rayons UV et contribuant au développement du mélanome.

Une mutation génétique dans le gène BRAF appelée BRAF(V600E) est la mutation la plus communément retrouvée dans les cellules de mélanome et constitue un des premiers évènements dans le développement du mélanome. Les chercheurs ont donc utilisé des souris adolescentes génétiquement modifiées pour exprimer la mutation BRAF(V600E) dans leurs mélanocytes et ont exposé une partie de ces souris à un rayonnement UV d’intensité relativement basse, correspondant à un léger coup de soleil chez des humains.

70% des souris qui n’avaient pas été exposées aux rayons UV (55 souris au total) ont développé un mélanome, avec une période de latence médiane d’environ 13 mois, allant d’environ 1 à 24 mois. En revanche, toutes les souris qui avaient été exposées aux rayons UV ( 19 souris) ont développé des mélanomes, avec une période de latence médiane de 5 mois, allant d’environ 3 à 7 mois. Étant donné que le niveau d’exposition au rayonnement UV utilisé dans l’expérience n’a pas provoqué de mélanome chez des souris qui n’avaient pas la mutation BRAF(V600E) (14 souris dans ce groupe), les chercheurs en ont conclu que les rayons UV accéléraient le développement du mélanome initialement induit par la mutation BRAF(V600E).

L’application de crème solaire (UVA supérieure, UVB SPF 50) trente minutes avant l’exposition aux rayons UV n’a pas empêché, mais seulement retardé, l’accélération du développement du mélanome induit par la mutation BRAF(V600E) : toutes les souris de ce groupe (22 souris) ont développé un mélanome après une période de latence médiane d’environ 7,5 mois, allant de 4 à 17 mois environ. (Le délai observé entre les souris ayant reçu de la crème solaire et celles n’en ayant pas eu était suffisamment grand pour être statistiquement significatif.)

Essayant de comprendre comment les rayons UV accéléraient le développement du mélanome initialement induit par la mutation BRAF(V600E), les chercheurs ont analysé les lésions ADN provoquées par les rayons UV, portant particulièrement leur attention sur le gène suppresseur de tumeur Trp53. Ils ont trouvé des mutations dans ce gène dans 40% des mélanomes de souris exposées au rayons UV mais dans aucun des mélanomes de souris non exposées. Les chercheurs ont ensuite observé que des souris génétiquement modifiées pour exprimer une forme mutée de Trp53 dans leurs mélanocytes (une des formes identifiées dans les tumeurs de souris exposées aux rayons UV) ne développaient pas de mélanome. Par contre, lorsque ces souris ont été croisées avec les souris portant la mutation BRAF(V600E), leurs descendants (qui avaient les deux mutations d’intérêt dans Trp53 et BRAF) ont tous développé des mélanomes en moins de 3.5 mois. Ces résultats suggèrent qu’une mutation du gène Trp53 est un des mécanismes par lequel les rayons UV accélèrent le développement du mélanome initialement induit par la mutation BRAF(V600E).

Les chercheurs ont également observé qu’environ 20% de mélanomes humains portaient des mutations dans le gène TP53 (gène humain correspondant au gène Trp53 chez la souris, aussi appelé p53), et que ces mutations étaient associées à des lésions ADN provoquées par les rayons UV, suggérant que les résultats obtenus dans le modèle chez la souris peuvent aider à comprendre ce qui se passe dans au moins une partie des mélanomes humains.

Le gène TP53 est connu pour être impliqué dans des cancers de la peau autres que le mélanome et cette étude suggère maintenant qu’il joue peut-être aussi un rôle dans le développement du mélanome associé au rayonnement UV. D’autres études seront nécessaires pour comprendre comment les formes mutées de TP53 contribuent au développement du mélanome au niveau moléculaire et cellulaire.

Remarque:
De nombreux articles dans la presse anglophone ont couvert cette étude avec des titres qui disaient quelque chose comme “Une étude conclut que la crème solaire ne protège pas du cancer de la peau” (pour le peu que j’ai cherché, certaines publications francophones avaient des titres similaires). Je trouve que c’est aller un peu loin pour une étude dont le but premier n’était pas d’évaluer l’efficacité de la crème solaire (et encore moins chez les humains), qui se concentrait sur un seul type de cancer de la peau (le mélanome), et qui a utilisé des souris ayant une mutation génétique qui provoque le développement du mélanome même sans exposition aux rayons UV. Ceci étant, l’expérience conduite par les chercheurs a quand même montré que l’application de crème solaire retardait l’accélération du développement du mélanome observée suite à une exposition aux rayons UV. Les auteurs de l’étude écrivent même, comme dernière phrase du résumé de leur étude (en libre accès): “Notre étude valide les campagnes de santé publique qui promeuvent l’utilisation de crème solaire pour les individus à risque de mélanome.” (traduction de l’anglais)

En tout cas, écrire quelque chose d’aussi général que “la crème solaire ne protège pas du cancer de la peau” en gros titre me semble plutôt irresponsable quand il est établi que l’utilisation de crème solaire aide à prévenir le développement d’autres cancers de la peau, quelle que soit son efficacité dans le cas du mélanome.

Référence
Ultraviolet radiation accelerates BRAF-driven melanomagenesis by targeting TP53. Viros A, Sanchez-Laorden B, Pedersen M, Furney SJ, Rae J, Hogan K, Ejiama S, Girotti MR, Cook M, Dhomen N, Marais R. Nature. 2014 Jul 24;511(7510):478-82. doi: 10.1038/nature13298
PMID: 24919155