Placebo vs médicament – Le pouvoir de l’information, positive ou négative

La plupart des gens ont déjà entendu parler de “l’effet placebo”: il s’agit du fait que certaines personnes peuvent ressentir une amélioration de leur état suite à l’administration d’un traitement alors qu’elles ont en fait reçu une substance neutre, inactive. L’effet placebo est typiquement observé lorsque la variable mesurée est un symptôme subjectif, par exemple un niveau de douleur. En revanche, il est quasi-inexistant dans le cas d’une mesure objective comme par exemple la disparition d’une infection bactérienne. L’effet placebo est donc un facteur important à garder à l’esprit lors de l’évaluation de l’efficacité d’un traitement pour des conditions dont les symptômes sont mesurés subjectivement, comme la douleur, la dépression, ou la fatigue.

L’effet placebo décrit le fait que, si vous pensez recevoir un médicament, vous pouvez éventuellement ressentir un effet bénéfique, même si ce que vous prenez est en fait un placebo. Mais qu’en est-il de la situation inverse? Si vous pensez prendre un placebo, cela peut-il changer le bénéfice que vous devriez tirer d’un médicament? C’est la question à laquelle des chercheurs de l’université de médecine de Harvard ont tenté de répondre dans une étude publiée récemment dans Science Translational Medicine.

  • Plan de l’étude

Les individus participant à cette étude souffraient de migraines récurrentes. Il leur a été demandé d’évaluer le niveau de douleur qu’ils ressentaient sur un total de sept attaques de migraine pour lesquelles ils ont reçu différents traitements. Deux scores de douleur ont été rapportés pour chaque épisode migraineux: le premier score était enregistré 30 minutes après le début de la migraine (valeur de base) et le second deux heures plus tard. Après cela, quel que soit le traitement déjà reçu, les participants avaient la possibilité de prendre un traitement additionnel pour diminuer la douleur si besoin.

Pour la toute première migraine se produisant dans le cadre de la période d’étude, les participants n’ont pris aucun médicament durant les deux premières heures et demie. Pour les six épisodes migraineux suivants, ils ont pris une pilule 30 minutes après le début de leur migraine (juste après avoir enregistré leur premier score de douleur). Cette pilule était soit un placebo, soit un médicament (Maxalt, 10mg), mais chacune était donné au patient dans une enveloppe portant soit la mention “placebo”, soit “Maxalt ou placebo”, soit “Maxalt” (cliquer sur le schéma ci-dessous pour le plan de l’étude). Deux heures après avoir pris la pilule, les participants réévaluaient leur niveau de douleur. L’ordre des migraines pour lesquelles les participants ont reçu le placebo ou le médicament, avec leurs différentes étiquettes, était randomisé, de manière à ce qu’il soit différent sur l’ensemble des participants, permettant ainsi d’éviter tout biais qui pourrait être introduit par le fait de prendre les différentes pilules dans un certain ordre.

Plan de l etudeL’effet des différents traitements a été mesuré en termes de réduction de la douleur ressentie, c’est-à-dire en comparant le score de douleur enregistré à 2h30 (2h après avoir pris la pilule) au score enregistré à 30 minutes (30 minutes après le début de la migraine, juste avant de prendre la pilule).

L’avantage de réaliser une telle étude avec des patients souffrant d’épisodes migraineux récurrents est que chaque patient est son propre “contrôle”: l’efficacité du médicament et du placebo dans différentes conditions d’information (information fournie par les étiquettes des enveloppes contenant les pilules) est ainsi évaluée pour chaque individu, ce qui permet de ne pas avoir à gérer les variations entre individus qui existent nécessairement (par exemple parce que différentes personnes ne vont pas réagir à un même traitement de la même manière, ou encore parce qu’elles ne vont pas évaluer leur douleur de la même façon).

  • Principaux résultats de l’étude

En analysant la diminution de la douleur en fonction du type de traitement reçu par les participants, sans prendre en compte ce que les patients pensaient avoir pris, les chercheurs ont trouvé que le médicament était plus efficace que le placebo (diminution de la douleur de 48% contre 21% deux heures après avoir pris le médicament ou le placebo, respectivement). Rien de surprenant jusqu’ici, même si on peut déjà remarquer que les participants ont rapporté une diminution de leur douleur même lorsqu’ils avaient pris un placebo.

Voici maintenant la partie la plus intéressante de l’étude: lorsque les chercheurs ont aussi pris en compte ce que les participants pensaient avoir pris, ils ont observé que l’étiquetage de la pilule influençait l’amplitude de l’amélioration ressentie, non seulement dans le cas où les patients avaient en fait reçu un placebo (ce qui était attendu, il s’agit de l’effet placebo), mais aussi lorsqu’ils avaient pris le vrai médicament.

Nous avons donc ici la réponse à notre question initiale: Si vous pensez prendre un placebo, cela peut-il changer le bénéfice que vous allez tirer d’un médicament? Et bien, d’après cette étude, oui.

1. L’efficacité du médicament à diminuer la douleur s’est avérée moindre lorsque les patients pensaient avoir reçu un placebo comparé à lorsqu’ils pensaient avoir effectivement reçu le médicament, ou même lorsqu’ils ne savaient pas ce qu’ils avaient reçu.

2. Le médicament étiqueté comme “placebo” s’est avéré quasiment aussi efficace que le placebo étiqueté comme “médicament”. Même si le médicament avait tendance à être associé à une diminution de la douleur un peu plus importante que le placebo, la différence n’était pas assez large pour être significative d’un point de vue statistique (c’est-à-dire qu’elle pouvait très bien être observée juste par hasard).

3. Dans l’ensemble, la diminution de la douleur observée après avoir pris une pilule était plus grande lorsque la pilule était étiquetée comme “médicament” et plus petite lorsque la pilule était étiquetée comme “placebo”, que la pilule administrée soit neutre ou pharmacologiquement active.

Le principal message à retenir de cette étude est donc que ce qu’un patient pense prendre (placebo, médicament, ou indéterminé) a de l’importance, que la substance ingérée soit neutre ou pharmacologiquement active.

  • Le pouvoir de l’effet placebo

En comparant l’efficacité du placebo à celle du médicament lorsque les deux pilules étaient étiquetées de la même façon, les chercheurs ont trouvé que l’effet du placebo était toujours de 50 à 60% aussi grand que celui du médicament.

Même lorsque le placebo a été donné ouvertement comme étant un placebo (open-label placebo), les participants ont rapporté une diminution de leur douleur d’environ 15% par rapport à la douleur ressentie avant de prendre la pilule. Pour comparaison, lors du premier épisode migraineux pour lequel aucune pilule n’avait été prise, les participants avaient rapporté une augmentation de leur douleur d’environ 15% sur le même laps de temps. Il semble donc, au moins dans cette étude, que le simple fait de prendre une pilule soit une composante non-négligeable d’un traitement.

 Il y a peut-être une limite au pouvoir du placebo néanmoins. Même si l’open-label placebo diminuait dans une certaine mesure la douleur ressentie, lorsque les chercheurs ont utilisé une mesure plus tranchée (ne plus ressentir de douleur du tout), ils ont trouvé que la proportion de participants qui disaient ne plus ressentir de douleur 2h après avoir pris l’open-label placebo n’était pas statistiquement différence de celle observée lorsque les participants n’avaient pris aucune pilule.

Un autre détail, non discuté par les auteurs de l’étude, a retenu mon attention: pour tous les participants, c’est l’ épisode migraineux se produisant en premier dans le cadre de la période d’étude qui a été utilisé comme épisode “contrôle”, celui pour lequel aucune pilule n’a été prise. Ce détail n’affecte en rien les résultats de l’étude concernant l’effet de l’étiquetage des pilules sur la diminution de la douleur rapportée par les participants (ce qui était la question principale posée dans l’étude), mais il pourrait affecter le résultat selon lequel l’open-label placebo a un effet bénéfique par rapport à l’absence de prise de pilule. En effet, il s’avère que le score de douleur rapporté par les participants à 30 minutes lors de leur premier épisode migraineux est en moyenne plus bas que le score rapporté à 30 minutes pour toutes les migraines suivantes. Étant donné que les scores de douleur à 2h30 sont comparables entre le premier épisode migraineux et l’épisode pour lequel l’open-label placebo a été pris, il en résulte qu’il y a une augmentation de la douleur de 15% dans le cas où aucune pilule n’est prise, contre une diminution de 15% dans le cas où l’open-label placebo est pris. Est-il donc possible que l’effet bénéfique du placebo observé même lorsqu’il est ouvertement donné comme placebo ne soit en fait qu’une conséquence de la tendance des participants à sous-évaluer leur douleur la toute première fois qu’il leur a été demandé de donner un score?

Dans l’ensemble, j’ai trouvé l’étude intéressante, pas seulement parce qu’elle montrait l’existence d’un effet placebo (cela a déjà été démontré par d’autres études), mais surtout parce qu’elle révélait que l’efficacité d’un médicament, d’une substance pharmacologiquement active, pouvait se trouver diminuée si les patients pensaient qu’on leur avait administré un placebo. Bien sûr, ces résultats sont limités au cadre précis de l’étude présentée ici (migraine, variable mesurée, médicament utilisé), pour le moment en tout cas.

Référence
Altered placebo and drug labeling changes the outcome of episodic migraine attacks. Kam-Hansen S, Jakubowski M, Kelley JM, Kirsch I, Hoaglin DC, Kaptchuk TJ, Burstein R. Sci Transl Med. 2014 Jan 8;6(218):218ra5. doi: 10.1126/scitranslmed.3006175
PMID: 24401940

Les détails de l’essai clinique sont disponibles sur le site ClinicalTrials.gov (identifiant NCT00719134).