Pourquoi votre chien vous regarde (ce n’est pas que pour demander à manger)

French bulldogNoël dernier, vautrée dans le canapé chez mes parents, je caresse nonchalamment la chienne de ma soeur, un joli petit bouledogue français qui présentement me fait office de boule anti-stress (en mieux, elle est chaude). Soudain, la voilà qui incline sa tête vers moi, et nous commençons à nous fixer mutuellement. L’échange de regard se prolonge, et je m’interroge: À quoi peut bien penser la chienne? Est-elle même en train de penser d’ailleurs? Pourquoi garde-t-elle ses gros yeux (certes si attachants) fixés sur les miens?

Les interactions entre chiens et êtres humains sont plutôt particulières, arborant un degré de lien social et d’engagement émotionnel inhabituel pour des membres de deux espèces différentes. Comparés avec les loups, l’espèce la plus proche des chiens, et avec les grands singes, nos plus proches parents, les chiens sont beaucoup plus doués pour reconnaître et utiliser des signaux sociaux (comme des gestes ou la direction du regard) pour interagir de manière coopérative avec les êtres humains, et ce dès leur plus jeune âge.

Mais il n’y a pas que cela. Pourquoi ressentons-nous un véritable attachement pour les chiens? Quels sont les mécanismes biologiques à l’oeuvre derrière l’amitié et l’affection que nous pouvons développer envers eux?

C’est là que l’ocytocine entre en scène. Vous savez, l’ocytocine, ce neuropeptide qui semble pointer son nez dans presque chaque histoire de liens sociaux et affectifs.

L’ocytocine est connue pour son rôle dans l’établissement et le renforcement de liens sociaux et affectifs, entre mère et nouveau-né par exemple, mais aussi entre partenaires sexuels chez des espèces monogames. Dans un article publié récemment dans Science, des chercheurs se sont demandé si l’ocytocine ne pouvait pas également être à la base d’un “cercle vertueux” favorisant l’attachement et la provision de soins entre les chiens et leurs maîtres, similaire à celui proposé dans le cadre du lien entre mère et nouveau-né.

On sait déjà que le fait de caresser un chien résulte en une augmentation des taux d’ocytocine à la fois chez le chien et chez l’individu qui le touche. Dans une étude précédente, les auteurs de l’article de Science avaient aussi observé que lorsqu’un chien regardait son maître de manière prolongée, le taux d’ocytocine augmentait chez ce dernier. Maintenant, les chercheurs ont également montré qu’un échange de regard mutuel entre un chien et son maître augmente le taux d’ocytocine non seulement chez l’être humain, mais aussi chez le chien. Le changement dans la concentration d’ocytocine (mesurée dans l’urine) était plus grand chez les maîtres qui échangeaient un regard plus long avec leurs chiens (environ 110 contre 40 secondes en moyenne) et l’augmentation d’ocytocine chez les chiens, en retour, était corrélée à celle observée chez leurs maîtres. Lorsque les chercheurs ont mis des loups et leurs propriétaires dans les mêmes conditions expérimentales, ils n’ont pas observé le même type d’interactions, même si les loups avaient été élevés par leurs maîtres dès leur plus jeune âge.

Les chercheurs suggèrent que, d’un point de vue évolutif, il est possible que les chiens aient tiré avantage d’un système favorisant les liens parent-enfant et imité des signaux sociaux tels qu’un échange de regard pour générer des sentiments positifs chez les êtres humains et ainsi s’attirer des comportements “parentaux” de la part de ceux-ci (par exemple, prodiguer des soins). Les chiens eux-mêmes peuvent avoir développé des sentiments positifs similaires, créant et propageant ainsi un cercle vertueux renforçant leurs liens avec leurs maîtres humains.

Je ne sais pas si la chienne de ma soeur ou moi-même avons connu un rush d’ocytocine ou développé un début de lien social/affectif lorsque nous avons partagé ce moment d’échange de regard. Je ne suis pas sa maîtresse après tout, il est donc possible qu’elle se soit simplement demandé ce que cette humaine bizarre pouvait bien faire. Mais étant donné qu’elle a fini par rouler sur le dos et s’étirer pour me laisser lui caresser le ventre, je suppose qu’elle a apprécié notre interaction au moins autant que moi.

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En plus de l’étude sur le rôle de l’ocytocine dans les liens sociaux entre chiens et humains, cette édition de Science contenait un autre article (pas une étude scientifique, mais un article de fond) traitant de l’origine de l’espèce canine, ou plutôt, de comment les scientifiques essaient de la percer.

On sait maintenant que les chiens ont évolué à partir des loups gris. Le consensus actuel parmi les experts est que la domestication des chiens s’est faite en deux vagues. Tout d’abord, des loups plus aventureux que les autres ont commencé à s’approcher des campements humains et à se nourrir des carcasses abandonnées à leurs abords ; ces loups ont probablement bénéficié des restes de nourriture des humains, survivant plus longtemps et ayant une descendance plus nombreuse que les autres ; un tel processus se répétant sur de nombreuses générations a alors pu favoriser des animaux de plus en plus à l’aise à proximité des humains. Ensuite, les êtres humains eux-mêmes ont pu réaliser l’utilité de ces animaux et commencer une phase active de domestication, les élevant pour en faire des alliés utiles dans des activités telles que la chasse, la garde de bétail, ou encore le transport de charges lourdes sur de longues distances.

Cependant, malgré un accord plutôt général sur le “comment” de la domestication des chiens, le “quand” et “où” de l’émergence de l’espèce restent flous – et apparemment, un sujet de discussion plus qu’animée pour les experts travaillant sur la question. Des études utilisant des approches différentes ont mené à des dates allant de il y a environ 16 000 à 30 000 ans pour le début de l’espèce.

Les chiens sont la toute première espèce domestiquée par les humains, avant toute autre espèce animale ou végétale. Utilisant ce fait pour faire valoir l’importance du sujet et obtenir suffisamment de fonds pour l’étudier (il semble que, malgré la relation spéciale qui existe entre nous humains et nos amis canins – sans parler des sommes d’argent exagérées que certaines personnes peuvent dépenser pour leurs chiens, les organismes de financement ne soient pas eux très enclins à inclure la questions de l’origine de l’espèce canine sur la liste des projets à financer), deux chercheurs travaillant au Royaume-Uni ont maintenant réussi à réunir assez de moyens pour établir une large collaboration internationale et lancer une étude à grande échelle visant à éclaircir la question de où et quand les chiens sont apparus.

Le projet a pour but d’analyser de nombreux échantillons collectés à divers endroits du globe, combinant analyse d’échantillons d’ADN ancien et analyse morphométrique d’anciens os. Cette dernière technique, relativement nouvelle mais qui a déjà été utilisée sur des spécimens d’hominides, repose sur un enregistrement digital de la forme d’un os (par exemple un crâne, une mâchoire, un fémur) et sur la mesure précise de chaque coin et recoin, pour ensuite pouvoir comparer des spécimens et obtenir une image détaillée de leurs différences et ressemblances. À partir de toutes ces informations (ADN et structure des os), les chercheurs espèrent pouvoir reconstituer l’histoire de l’émergence de l’espèce canine.

Bien sûr, analyser des quantités énormes de données n’est pas une garantie de succès : il est possible que cela ne fasse que rendre l’aperçu général de l’histoire du chien encore plus complexe. Mais même si cela s’avérait être le cas, le projet aura au moins permis au domaine de faire un grand pas en avant: non seulement en ayant rendu possible la collection d’un ensemble de données de taille et variété inégalées, mais aussi en ayant enfin réussi à calmer les égos et amener les experts du domaine à travailler de concert. Maintenant, il ne reste plus qu’à attendre la première publication de résultats issus de cet effort international.

Références
Oxytocin-gaze positive loop and the coevolution of human-dog bonds. Nagasawa M, Mitsui S, En S, Ohtani N, Ohta M, Sakuma Y, Onaka T, Mogi K, Kikusui T. Science. 2015 Apr 17;348(6232):333-6. doi: 10.1126/science.1261022
PMID: 25883356
Dawn of the dog. Grimm D. Science. 2015 Apr 17;348(6232):274-9. doi: 10.1126/science.348.6232.274.

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