Des transplantations fécales pour combattre des infections intestinales récurrentes

Un essai clinique tout juste publié dans le New England Journal of Medicine montre que les transplantations fécales sont bien plus efficaces que les antibiotiques pour soigner les infections intestinales récurrentes causées par Clostridium difficile.

Clostridium difficile est une bactérie qui peut causer des diarrhées sévères et est le principal agent responsable des diarrhées secondaires à la prise d’antibiotiques. C’est un fléau particulièrement redouté en milieu hospitalier, à cause de son fort potentiel de contagion – la bactérie peut survivre longtemps sous forme de spore à l’extérieur du corps humain – et surtout parce qu’il est difficile de s’en débarrasser.

Le traitement classique en cas d’infection par C. difficile est la prise d’antibiotiques, cependant jusqu’à 25% des patients traités pour une première infection rechutent. Encore plus problématique, les antibiotiques s’avèrent efficaces dans environ 60% des cas de première rechute (ce qui est déjà plus bas que l’efficacité observée en cas de première infection), et leur efficacité baisse de plus en plus au fil des rechutes.

De nombreux médecins ont déjà rapporté avoir traité avec succès des cas d’infection récurrente par C. difficile en  administrant des transplantations fécales à leurs patients – une transplantation fécale consiste à transférer dans l’intestin d’une personne un extrait de selles d’une autre personne. Jusqu’à maintenant il ne s’agissait cependant que de rapports de cas dans la littérature médicale (représentant tout de même plus de 300 patients) et une évaluation contrôlée de ce type de traitement manquait.

Une nouvelle étude publiée le 16 janvier 2013 dans le prestigieux journal scientifique New England Journal of Medicine vient enfin combler ce manque. Les chercheurs ont recruté des patients chez qui l’infection par C. difficile était revenue après au moins un traitement par antibiotiques. Les volontaires ont ensuite été répartis au hasard en deux groupes pour recevoir soit un traitement classique de deux semaines avec l’antibiotique vancomycine, soit une infusion avec une solution d’extrait de selles de donneurs sains (délivrée directement dans l’intestin via un tube passant par le nez).

La différence d’efficacité entre les deux traitements s’est avérée si importante que l’essai clinique a été arrêté prématurément: même avec moins de patients inclus que ce qui avait été prévu au départ, la différence entre les taux de guérison pour chaque traitement était assez grande pour pouvoir établir avec certitude la supériorité d’un traitement sur l’autre. Parmi les 16 patients du groupe recevant une transplantation fécale, 13 ont été guéris après une seule infusion, et deux autres après deux infusions (soit un taux global de succès de 94%). Par contraste, seulement 7 des 26 patients traités avec l’antibiotique ont été guéris (soit un taux de succès de 27%). Après l’arrêt de l’essai clinique, les patients qui avaient subi une rechute après le traitement antibiotique ont reçu une transplantation fécale hors protocole (non prise en compte dans l’essai clinique) et l’infection a été éliminée chez 83% d’entre eux. Dans l’ensemble, les traitements par transplantation fécale n’ont pas montré d’effets secondaires défavorables, à part des diarrhées et des crampes abdominales légères le jour de l’infusion.

L’efficacité remarquable des transplantations fécales pour soigner les infections par C. difficile est probablement due à la restauration d’une flore bactérienne normale dans l’intestin des patients, flore qui contribue à empêcher C. difficile de proliférer chez des individus en bonne santé. Lors de l’essai clinique, les chercheurs ont analysé les bactéries présentes dans les selles des patients avant et après la transplantation fécale et ont observé que la diversité bactérienne trouvée chez les individus souffrant de l’infection par C. difficile était réduite comparée à celle d’individus sains, mais augmentait après la transplantation fécale. En effet, transférer une solution faite à partir des selles d’un donneur permet le transfert d’une partie des bactéries intestinales du donneur, et ces bactéries colonisent alors l’intestin du receveur, ce qui réduit l’habitat disponible pour C. difficile. Ceci explique probablement aussi pourquoi les traitements classiques à base d’antibiotiques échouent à guérir les infections récurrentes de C. difficile: chaque prise d’antibiotique tue non seulement C. difficile mais aussi les bactéries inoffensives qui vivent normalement dans l’intestin, créant un espace vide prêt à être recolonisé par les spores de C. difficile qui ont persisté une fois le traitement antibiotique arrêté.

Malgré le côté peu appétissant d’une transplantation fécale, sa remarquable efficacité à guérir les infections récurrentes par C. difficile – maintenant démontrée dans un essai clinique randomisé contrôlé – en fait une option de traitement plutôt attrayante. Des chercheurs travaillent néanmoins sur le développement d’alternatives tout en conservant la composante des transplantations fécales probablement à l’origine de leur succès, c’est à dire les bactéries qui peuplent normalement l’intestin.

Dans une étude publiée en Octobre 2012 dans le journal scientifique PLoS Pathogens, une équipe de chercheurs au Royaume-Uni a rapporté avoir isolé 18 types de bactéries à partir de matière fécale de souris qui avait été utilisée pour guérir d’autres souris infectées par C. difficile. Les chercheurs ont ensuite identifié une combinaison de 6 espèces de bactéries parmi ces 18 qui pouvait aussi guérir les souris malades. Récemment, une équipe canadienne a réussi à cultiver un mélange de 33 espèces de bactéries à partir de selles d’un individu en bonne santé et a ensuite traité avec succès deux patients souffrants d’infections récurrentes par C. difficile en infusant ce mélange dans leur colon (par colonoscopie). Leur étude a été publiée le 9 janvier 2013 dans le journal Microbiome. Un des avantages d’utiliser un mélange de cultures de bactéries au lieu d’une solution d’extrait de selles de donneur – en plus de supprimer le côté peu ragoûtant du traitement – est de permettre un meilleur contrôle de la population de bactéries qui est transférée.

Peut-être qu’un jour les infections par C. difficile seront facilement soignées avec un simple suppositoire contenant des bactéries. En attendant, d’autres essais cliniques sont nécessaires pour optimiser et standardiser le traitement par transplantation fécale, et pour évaluer son utilisation et son profil de sécurité pour d’autres patients (par exemple des patients immunodéprimés ou gravement malades).

Références

1. Duodenal Infusion of Donor Feces for Recurrent Clostridium difficile. van Nood E et al. N Engl J Med. 2013 Jan 16.
PMID: 23323867

2. Lawley TD, Clare S, Walker AW, Stares MD, Connor TR, et al. (2012) Targeted Restoration of the Intestinal Microbiota with a Simple, Defined Bacteriotherapy Resolves Relapsing Clostridium difficile Disease in Mice. PLoS Pathog 8(10): e1002995. doi:10.1371/journal.ppat.1002995

3. Stool substitute transplant therapy for the eradication of Clostridium difficile infection: ‘RePOOPulating’ the gut. Petrof EO et al. Microbiome 2013, 1:3 doi:10.1186/2049-2618-1-3

4 réflexions sur “Des transplantations fécales pour combattre des infections intestinales récurrentes

  1. Isa janvier 24, 2013 / 3:31

    voilà un sujet glamour! Le principe me fait un peu penser à l’organothérapie, une thérapeutique venue de Chine et qui consiste à manger un minuscule fragment d’organe d’animal pour soigner l’organe correspondant qui va mal. Par exemple, si tu as mal au foie, mange une miette séchée de foie de souris. Je me demande un peu comment les autorités européennes ont accueilli ces produits. En tous cas l’idée de combattre un bactérie qui a le monopole en rétablissant la compétition, c’est un concept qui me plait.

  2. Monique Fong Wust janvier 4, 2014 / 9:49

    Après 5 semaines en soins intensifs, plus de 2 mois de maison de santé, je me croyais guérie d’une infection attrapée au NYU Medical Center de New York à l’âge de 85 ans.. Après plusieurs rechutes,la diarrhée revenant dès que je cessais les antibiotiques, j’ai eu un premier transfert de selles d’une amie. Je semblais guérie, un an après l’infection première. J’ai eu un retour de la diarrhée au bout de 6 mois. Mon second transfert remonte à 2 mois. Il utilisait les selles d’un donneur anonyme. Il me reste malheureusement les graves effets secondaires du Metrodinazole – neuropathies périphériques assez invalidantes – . La Vancomycine ne semble pas en avoir eu. Le ttansfert est aussi simple qu’une colonoscopie -mais n’enrichit pas la puiissante industrie pharmacutique.

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